LES VOIX PROFONDES DE LA TERRE

Gaëtan Bernoville

Le Pays des Basques, 1930

        Aujourd'hui hélas! aux fêtes des villages, on ne danse pas seulement les danses basques. Jeunes gens et jeunes filles ont pris goût aux danses modernes et étrangères, mais —immanente revanche d'une tradition millénaire— ils y perdent leur grâce, et leur agilité y reste sans emploi. Eux qui sont, dans leurs danses nationales, d'une miraculeuse légèreté, deviennent lourds et contraints. Ils s'étreignent pesamment, froissent maladroitement de leurs espadrilles le sol offensé du pays natal. Mais lorsque quelques tangos

et fox-trotts ont été dansés, les voix profondes de la terre parlent soudain. Les airs à la mode cessent de gémir au ventre de l'accordéon. La flûte jette ses notes aiguës et vives auxquelles s'accorde aussitôt le "ttun-ttun". Possédés à nouveau par l'âme du vieux pays, les jeunes gens redeviennent les danseurs qu'habite un inimitable génie. Après le funèbre ralenti du tango, voici enfin les rythmes qui parlent profondément au coeur inquiet des hommes. La transformation est complète. Tout à l'heure ces jeunes gens semblaient des paysans balourds et gauches, les voici bondissants, légers comme de jeunes faunes.